La mathesis universalis, cela ne veut pas dire grand chose, on trouve cette notion ou ce projet (?) chez Descartes, chez Leibniz, chez Husserl qui (passé à la philosophie en provenance des mathématiques) s’y intéressa fortement à partir des années 1890 et déclare qu’il est venu à la phénoménologie par la mathesis universalis. Mais tout cela reste assez flou (ce qui est fâcheux pour des gens s’intéressant à la mathématique) , j’y reviendrai bientôt en abordant les travaux de David Rabouin.
Pour ma part j’ai repris à nouveaux frais ce concept, ou programme, ou projet, en l’appelant:
Mathesis universalis οντοποσοφια
pour bien la démarquer des notions précédentes quelles qu’elles soient.
Sans vouloir la définir ici je dirai simplement qu’il s’agit du platonisme en mouvement, le platonisme à l’arrêt étant les différentes interprétations de Platon figées, donc fausses, la dernière étant celle de Badiou.
Ou encore, il s’agit de la progression universelle de l’esprit humain partant de la multiplicité pure des « chocs sensibles », qui coïncide avec la complète ignorance, vers l’Un-Bien que les religions nomment Dieu et qui coïncide aussi avec le Savoir Absolu.
Et il s’agit du seul mouvement de l’esprit humain possible, balisé par les définitions rigoureuses de la mathématique, répondant à ces réquisits.
Tout ceci peut sembler un peu, voire très arrogant, mais je précise immédiatement que tout ce qui est dit ici est, pour le moment, de nature rigoureusement spéculative….
En tout cas, il ne peut s’agir que d’une activité intellectuelle incessante et portée à une sorte d’incandescence…
Quelle en serait l’alternative ?
Un non-agir qui viserait lui aussi une sorte d’Absolu, et ici on ne peut pas ne pas évoquer un film de 1974 qui a reçu le prix Jean Vigo, de Georges Perec et Bernard Queyssane:
« Un homme qui dort »
qui est visible ici:
Un homme qui dort
Il s’agit de scènes de la vie d’un jeune étudiant (Jacques Spiesser) qui un beau jour constate « qu’il ne sait pas vivre et ne saura jamais » et se retire de la vie, de toute vie avec un projet défini, sans vouloir se suicider mais en continuant à vivre dans sa petite chambre, à sortir dehors, à manger dans une brasserie, à jouer au flipper..
Il n’y a pas de dialogues mais un monologue d’une voix féminine (Ludmilla Mickaël) s’adressant au jeune homme en disant « tu » et décrivant ses « états intérieurs ».
Il est facile de déceler deux partie correspondants à deux attitudes du jeune homme (la coupure est très nette et décelable facilement) : dans la première le personnage vit un état d’exaltation (sans le montrer) puisque de par sa « décision » (?) de ne plus faire aucun projet, il a le sentiment d’être le Maître anonyme du monde, n’attendant plus rien de rien ni de personne…
Par contre dans la seconde partie il s’aperçoit qu’il s’est entièrement fourvoyé et reprend contact avec la vie : celle d’un homme vivant dans une société donnée, et qui fait face à des peurs et des espoirs…un homme qui doit un jour mourir.
Le monologue de la fin est très beau, il est donné par cet article qui fait le rapprochement avec « Voyage au bout de la nuit » qui commence Place Clichy, lieu où l’histoire racontée par Georges Perec se termine:
http://off-shore.hautetfort.com/archive/2011/04/15/une-place-dans-le-monde.html
« Nulle malédiction ne pèse sur tes épaules. Tu es un monstre, peut-être, mais pas un monstre des Enfers. Tu n’as pas besoin de te tordre, de hurler. Nulle épreuve ne t’attend, nul rocher de Sisyphe, nulle coupe ne te sera tendue pour t’être aussitôt refusée, nul corbeau n’en veut à tes globes oculaires, nul vautour ne s’est vu infliger l’indigeste pensum de venir te boulotter le foie, matin, midi et soir. Tu n’as pas à te traîner devant tes juges, criant grâce, implorant pitié. Nul ne te condamne et tu n’as pas commis de faute. Nul ne te regarde pour aussitôt se détourner de toi avec horreur.
Le temps, qui veille à tout, a donné la solution magré toi.
Le temps, qui connait la réponse, a continé de couler.
C’est un jour comme celui-ci, un peu plus tard, un peu plus tôt, que tout recommence, que tout commence, que tout continue.
Cesse de parler comme un homme qui rêve.
Regarde ! Regarde-les. Ils sont là des milliers et des milliers, sentinelles silencieuses, Terriens immobiles, plantés le long des quais, des berges, le long des trottoirs noyés de pluie de la place Clichy, en pleine rêverie océanique, attendant les embruns, le déferlement des marées, l’appel rauque des oiseaux de la mer.
Non. Tu n’es plus le maître anonyme du monde, celui sur qui l’histoire n’avait pas de prise, celui qui ne sentait pas la pluie tomber, qui ne voyait pas la nuit venir. Tu n’es plus l’inaccessible, le limpide, le transparent. Tu as peur, tu attends. Tu attends, place Clichy, que la pluie cesse de tomber »
On peut aussi faire le rapprochement avec « L’arrêt de mort » de Maurice Blanchot, dont aucun film n’a été tiré à ma connaissance, et dont le texte de fin est d’une beauté comparable, mais le personnage y prend conscience de la nécessité d’en finir avec son statut d’homme du monde, pour devenir ce qu’il est : un écrivain.
J’évoquerai pour finir la tâche énigmatique fixée par Brunschvicg à la philosophie, et donc à ce que j’appelle mathesis universalis:
« renoncer à la mort »