#BrunschvicgRaisonReligion exemple 4 des oppositions fondamentales : « Le dit du vieux marin » de Coleridge

J’ai lu très jeune le poème de Samuel Taylor Coleridge « Le dit du vieux marin » (« The rime of the ancient mariner ») et je me souviens comme si c’était aujourd’hui de l’impression , le mot est faible, de la véritable transe intérieure qui me saisit aux premiers vers.

J’étais exactement dans l’état de saisissement de l’invité des noces que le marin fixe des yeux et qui ne peut faire autre chose que d’écouter son récit :

« Le vieux marin serre le bras du jeune homme de sa main décharnée : « Il y avait un vaisseau… dit-il. – Lâche-moi, ôte ta main, drôle à barbe grise ! » Et aussitôt la main tombe.

Le marin retient le jeune homme avec son oeil brillant. Le garçon de noce demeure tranquille et écoute comme un enfant de trois ans : le marin a sa volonté.

Le garçon de noce s’assit sur une pierre : il ne peut s’empêcher d’écouter ; et ainsi parla le vieil homme, le marin à l’oeil brillant : »

Je viens de citer la traduction de Maxence Caron :

Coleridge : « La complainte du vieux marin »

il y a aussi celle sur Wikisource:

http://fr.wikisource.org/wiki/La_Chanson_du_vieux_marin

mais celle que je préfère de loin est sur ce site :

http://www.ironmaidencommentary.com/?url=album05_powerslave/rime/rime00&lang=fra&link=albums

d’abord parce qu’il donne le texte original, auquel il faut toujours se reporter, mais aussi pour d’autres raisons, je ne prendrai qu’un exemple, celui de la fin du chapitre 1, le texte anglais sonne comme une flèche :

« With my crossbow I shot the ALBATROSS »

pourquoi traduire comme sur le site de Maxence Caron ou sur Wikisource:

 » C’est qu’avec mon arbalète, je tuai l’albatros.  »

en introduisant ce « C’est que  » explicatif qui n’est pas dans le texte original et détruit l’impression d’étrangeté et d’horreur qui plane sur tout le poème.

Pourquoi ne pas suivre le texte et traduire :

« D’un coup d’arbalète, cet Albatros, je l’abattis »

En fait je me rends compte que le site bilingue « Ironmaiden » suit la traduction d’Henri Parisot qui est celle de l’édition Aubier Flammarion de ma lecture originale.

L’opposition entre plan vital, symbolisé par « les noces » au début et à la fin du poème, et plan spirituel, symbolisé par l’Albatros, est évidente: le poème a généralement été considéré comme une allégorie chrétienne :

http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Complainte_du_vieux_marin

et l’Albatros comme symbole du Christ, le « péché »  (meurtre du « Soi ») du Vieux marin serait ainsi « expié » dans la suite, jusqu’à la fin où il se détourne des noces, préférant l’Eglise et la prière « au Dieu qui nous aime tous ».

Cela introduit une sorte de « rationalisation religieuse » (la faute, la punition, l’expiation) qui certes se trouve dans le texte, mais je conseille de lire (toujours dans l’édition bilingue Aubier Flammarion) la longue introduction  de Christian La Cassagnère portant sur les trois poèmes majeurs traduits (Le Vieux marin, Christabel et Kubla Khan) qui montre très bien que cette « surimposition » (par Coleridge lui même) du mythe chrétien affaiblit le noyau mythique original et sa force d’étrangeté, qui saisit tout lecteur du poème.

Cette introduction fait appelle à Jung, aussi ne la commenterai je pas plus ici.

Le « meurtre de l’Albatros » signifie de manière poétique la destruction de tout accès au plan spirituel par les humains obsédés par le plan vital et la lutte pour la domination et la puissance qui lui sont propres, ainsi que les « récompenses » en termes de richesse, de plaisir et de pouvoir qu’il promet aux « victorieux ».

Il est du domaine non pas d’une « faute » ou d’un crime « factuel », se produisant à un moment de l’Histoire, mais du domaine transcendantal, comme d’ailleurs me semble t’il le « péché originel ».

Et les évènements atroces qui suivent ne sont pas de l’ordre de la « punition du crime » ou de la « vengeance » , ce sont les conséquences nécessaires du « pourrissement » du plan vital lorsque toute possibilité de le dépasser en le spirituel est supprimée.

Ce « pourissement » Coleridge le vivra en personne avec l’évolution tragique de sa vie de couple avec son épouse Sarah Fricker, un marige malheureux en 1795 dû uniquement aux contraintes sociales. Il aura une passion amoureuse pour Sara Hutchinson, soeur de la future épouse de Wordswotrh, mais celle ci ne répondra pas à son amour. Il deviendra opiomane.

quelques vers qui dépeignent cette lente agonie de l’être coupé des ressources de l’esprit:

seconde partie:

« L’eau, l’eau était partout, et toutes les planches du bord se rétrécissaient. L’eau, l’eau était partout, et nous n’avions pas une goutte d’eau à boire.

La mer se putréfia, ô Christ ! qui jamais l’aurait cru ? des choses visqueuses serpentaient sur une mer visqueuse.

Autour de nous, en cercle et en troupe, dansaient, à la nuit, des feux de mort. L’eau, comme l’huile d’une lampe de sorcière, était verte, bleue et blanche. »

début de la quatrième partie:

« « J’ai peur de toi, vieux marin, j’ai peur de ta main décharnée ! Tu es long, maigre et brun comme du sable de mer quand la vague s’est retirée.

« J’ai peur de toi, de ton oeil brillant et de ta main décharnée si brune.

– Ne crains rien, ne crains rien, garçon de noce, ce corps ne tomba pas. »

Seul, seul, je restai debout, tout seul, tout seul, sur la vaste, la vaste mer, et pas un saint n’eut pitié de ma pauvre âme à l’agonie.

Tant d’hommes, tant d’hommes si beaux ! Ils gisaient là, tous morts, et mille choses visqueuses vivaient autour ; et moi aussi je vivais !

Je regardai la mer en putréfaction, et détournai mes yeux de ce spectacle. Je les reportai sur le pont du vaisseau, il était également en putréfaction ; sur ses planches gisaient les corps morts de mes camarades. »

Bien entendu certains interpréteront le récit de manière simpliste : Coleridge n’a pas été heureux en ménage, donc il tente de suggérer que le mariage « bourgeois » doit être dépassé dans la prière et le culte religieux.

A notre époque, certains esprits « progressistes » lui suggèreraient de s’éclater sur ces sites de rencontre entre personnes mariées qui veulent vivre un adultère à la pause de midi…

Non, soyons sérieux : suffit il d’être malheureux en sa vie de couple pour composer un tel poème ?

 » Oh ! confesse-moi, confesse-moi, saint homme ! lui dis-je. L’ermite se signa. – Dis vite !… répondit-il, je l’ordonne, dis vite quelle espèce d’homme tu es ? »

Au même instant mon être fut tourmenté par une douloureuse agonie qui me força de commencer mon histoire. Quand je l’eus terminée, je sentis mon cœur déchargé d’un grand poids.

Depuis, à une heure incertaine, cette agonie me reprend, et jusqu’à ce que mon affreuse histoire soit dite, le cœur me brûle intérieurement.

Je passe, comme la nuit, de terre en terre : j’ai une étrange puissance de parole. Du moment que j’ai vu sa figure, je sais l’homme qui doit m’écouter, et je lui apprends mon histoire.

Mais quel vacarme sort de cette porte ? Tous les gens de la noce sont là. Sous la treille du jardin, la mariée et les compagnes de la mariée chantent. Silence ! la petite cloche du soir m’ordonne de prier.

Ô garçon de noce ! cette âme a été seule sur la vaste, la vaste mer, et cette mer était si solitaire que c’est à peine si Dieu lui-même semblait y être.

Ah ! s’il est doux d’être d’une fête de mariage, il est encore plus doux pour moi d’aller à l’église en bonne compagnie !……

……..

…..Sur ce, le marin à l’oeil brillant et à la barbe blanchie par l’âge s’éloigne. Le garçon de noce quitte à son tour la porte du marié.

Il s’en alla comme un homme étourdi et qui a perdu le sens. Le lendemain matin, il se leva plus triste, mais plus sage. »

encore une fois le terme « église » est choisi par Coleridge, en fonction de sa culture ethique,-religieuse (qui l’a rattrapé à la fin de sa vie) pour symboliser le plan spirituel universel.

Cette « sagesse triste » qui envahit l’invité des noces consiste à savoir que le plan vital est exactement nul, le zéro face à l’infini du monde spirituel.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Samuel_Taylor_Coleridge

« Depuis son retour d’Allemagne, ses opinions ont changé de façon surprenante ; en politique, de jacobin, il est devenu royaliste ; en religion, de rationaliste, il est devenu un fervent croyant du mystère de la Trinité. Aussi, il combat avec violence la Révolution française qu’il avait d’abord exaltée. Pour vivre, il accepte la direction du Morning-Post, dans les colonnes duquel il soutient la politique du gouvernement. «