#BrunschvicgRaisonReligion seconde opposition fondamentale : monde imaginaire ou monde véritable

Chapitre 2 de. « Raison et religion »:

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/raison_et_religion/raison_et_religion.html

« VIII. — Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. Qu’elle soit destinée à traduire l’impression propre de Pascal, ou qu’elle soit placée dans la bouche du libertin que l’auteur des Pensées travaille à convertir, la phrase du manuscrit posthume dénonce avec un éclat singulier ce qu’on pourrait appeler le mal de l’époque. L’éternel et l’infini, qui d’eux-mêmes paraissent faits pour conduire l’homme vers un Dieu lui-même éternel et infini, semblent l’en éloigner et l’en détourner. Comment comprendre cela ? Devant les révélations prodigieuses que l’astronomie moderne avec les conceptions rationnelles de Copernic et les découvertes télescopiques de Galilée lui apportait, il est arrivé que l’homme a perdu le contact de son monde, d’un univers restreint à la portée de ses sens, et qui lui parlait un langage familier. Tout y était expliqué par son intérêt, et derrière la gravité trompeuse d’un réalisme finaliste et théocentrique se développait, à l’abri d’une fausse sécurité, l’imagination anthropomorphique des peuples enfants. De même que le problème religieux se met différemment en équation suivant le niveau où le moi se considère, de même la conception du rapport entre la nature et Dieu se transforme suivant la norme de vérité à laquelle on se réfère.
Que la physique n’ait eu que l’apparence d’un savoir positif tant qu’elle n’était pas en possession de ces instruments que sont conjointement la coordination mathématique et la technique expérimentale, nous le savons assurément ; mais nous le savons seulement depuis trois siècles, bien court intervalle dans l’histoire de la planète et même de ses habitants humains, depuis le moment où la raison a pris conscience d’une méthode qui lui permet de mordre sur le réel en même temps que prenaient leur P034 forme définitive les victoires les plus mémorables de l’intelligence : découverte du principe d’inertie, composition mécanique des mouvements, identité de la matière céleste et de la matière terrestre.
Comment saura-t-on se prononcer entre les faux Dieux et le vrai, si l’on ne commence par opposer la fausse image du monde et son idée véritable, si l’on ne distingue pas radicalement dans l’usage du même terme vérité le mirage d’une imagination puérile et la norme incorruptible de la raison ?
 »

Le monde véritable est celui, créé, ou constitué, plutôt que révélé, par la science, par la physique mathématique au 17 eme siècle, un peu plus tôt si nous devons y inclure Copernic et nous le devons.

Le monde imaginaire est celui qui « parle à l’homme un langage familier » : celui des instincts, des passions, des plaisirs et des peines, des sens aussi, qui heureusement sont là pour que nous puissions continuer à vivre en remarquant les dangers, mais qui nous trompent aussi.

Dans le monde imaginaire, celui de la fausse sécurité comme de la fausse terreur, tout est centré sur le Moi vital: cet arbre est bon parce qu’il me donne son ombre pour me réfugier contre l’ardeur du Soleil, mais si la foudre le frappe et qu’il s’abat sur moi, il est mauvais.

Les sauvages remercient « Dieu » ou les dieux, ou les esprits des ancêtres, de les pourvoir en nourriture abondante si la saison est bonne ; et si plus loin une autre tribu est confrontée à la sécheresse et à la famine, c’est qu’ils n’ont pas les bons dieux.

La découverte d’un monde véritable qui ne parle que le langage, non familier, des entités mathématiques de la physique, constitue un « déplacement dans l’axe de la vie religieuse » comme Brunschvicg le dit ailleurs:

https://leonbrunschvicg.wordpress.com/quelques-citations-eparses-de-brunschvicg-particulierement-eclairantes-voire-illuminatrices/

« Le fait décisif de l’histoire, ce serait donc, à nos yeux, le déplacement dans l’axe de la vie religieuse au XVIIe siècle, lorsque la physique mathématique, susceptible d’une vérification sans cesse plus scrupuleuse et plus heureuse, a remplacé une physique métaphysique qui était un tissu de dissertations abstraites et chimériques autour des croyances primitives.L’intelligence du spirituel à laquelle la discipline probe et stricte de l’analyse élève la philosophie, ne permet plus, désormais, l’imagination du surnaturel qui soutenait les dogmes formulés à partir d’un réalisme de la matière ou de la vie. L’hypothèse d’une transcendance spirituelle est manifestement contradictoire dans les termes ; le Dieu des êtres raisonnables ne saurait être, quelque part au delà de l’espace terrestre ou visible, quelque chose qui se représente par analogie avec l’artisan humain ou le père de famille. Étranger à toute forme d’extériorité, c’est dans la conscience seulement qu’il se découvre comme la racine des valeurs que toutes les consciences reconnaissent également. »

Il annonce ici en d’autres termes ce changement d’axe:

« Comment saura-t-on se prononcer entre les faux Dieux et le vrai, si l’on ne commence par opposer la fausse image du monde et son idée véritable, si l’on ne distingue pas radicalement dans l’usage du même terme vérité le mirage d’une imagination puérile et la norme incorruptible de la raison ? »

Notez qu’il n’oppose pas une fausse image à une image qui serait véritable, mais à une idée véritable parce que vérifiée selon des méthodes de plus en plus scrupuleuses.
Une image est toujours fausse, ou en tout cas particulière, non universelle, liée à un certain point de vue (spatio-temporel mais aussi ethnique) parce qu’elle repose sur l’instinct vital : l’image que j’ai de ce qui m’entoure me sert à utiliser au mieux mes capacités d’action pour améliorer ou protéger ma vie : je vois cet orage qui se prépare et dois penser à me mettre à l’abri.
Par contre je ne vois pas le tsunami qui va submerger la Thaïlande parce que c’est très loin : ma vie n’est pas menacé.
De plus c’est dans le passé et plus personne n’est menacé, pour le moment du moins.
Aussi le « voyage temporel » sous les formes vulgaires de certains récits est il et restera t’il une baliverne : non il est impossible que je revoie ce train d’il y a 20 ans, ou était 30 ans en arrière, cette fille dont j’ai croisé le regard et dont je suis tombé amoureux instantanément : je n’avais qu’à montrer suffisamment de courage pour l’aborder ce jour là!

Mais « l’homme délibératif », (dirons nous, par opposition au dragueur professionnel, à l’ivrogne ou à la racaille) préfère souvent jouer son petit Hamlet du pauvre : « passer pour un imbécile ou passer pour un con? Telle est la question! »…et il choisit généralement de « passer pour un imbécile plutôt que de parler, mettant ainsi fin à tous les doutes »

Par contre le voyage dans le temps, le « time travel », est un thème de réflexions fructueux pour les physiciens et les philosophes…

L’intellect et la réflexion sont nécessaires pour coordonner les « images » ,nou plutôt les différents repères liés aux différents observateurs, au moyen des formules de transformations de Lorentz par exemple en relativité restreinte: ne peut être dit « vrai » que ce qui est universel en unifiant les différents points de vue au moyen d’une coordination mathématique, indubitable car vérifiable: on a ainsi pu vérifier avec des chronomètres extrêmement précis que si un observateur prenait l’avion suffisamment longtemps, le temps écoulé pour lui ( dans son repère spatio-temporel en mouvement par rapport à celui d’un observateur resté immobile (sans prendre l’avion)était différent , un peu moins long, confirmant ainsi les prévisions de la théorie de la relativité.

Cela dit « La machine à explorer le temps » d’H’ W. Wells a joué pour moi un rôle initiatique quasiment: je me souviens encore de cette journée où j’étais seul à la maison et où j’ai quasiment dévoré le livre.

Je me souviens, je me revois « par la mémoire », c’est en moi, lié à toutes les réminiscences, à toutes les réflexions que cette rétrospection a provoquées depuis lors : opération spirituelle.

Mais il est illusoire d’imaginer construire une machine à voyager dans le temps afin de me retrouver « en face » de moi adolescent en train de lire le livre, dans le canapé rouge, avec le bruit des voitures passant dans l’avenue en bas..d’ailleurs je me demande ce que j’aurais à lui dire, à cet adolescent…à part « fais gaffe, à telle date reste au lit toute la journée, tu éviteras de gros ennuis »…

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